Condamner c’est d’abord punir les injustices commises par les bénéficiaires et les facilitateurs de l’évasion et de l’évitement fiscal. 

Condamner c’est aussi et surtout créer des mécanismes légaux et juridiques assez puissants pour être dissuasifs pour quiconque serait tenté de s’aventurer dans la fiscalité créative. Autrement dit, c’est se donner les outils pour que l’injustice n’ait pas lieu.

Le Canada est connu pour son laxisme et pour la clémence de ses lois en matière de facilitation à l’évasion fiscale, à l’optimisation fiscale agressive et au blanchiment d’argent. Il faut, non seulement, revoir les lois pour s’assurer qu’elles empêchent le recours aux paradis fiscaux et à l’évitement fiscal, mais également qu’elles condamnent financièrement et criminellement de manière dissuasive les individus et corporations qui pratiquent ces stratagèmes ainsi que leurs facilitateurs.

L’ARC n’a porté aucune accusation criminelle en lien avec les Panama Papers depuis leur révélation il y a plus de 5 ans.

L’ARC a perdu deux grands procès contre des compagnies canadiennes soupçonnées d’avoir fraudé le système :

  • Cameco qui aurait évité plus de 2 milliards $ en taxes et impôts en manipulant les prix de transfert.
  • Loblaws a été acquitté d’une dette de 1,18 milliard $ en refusant de payer de l’impôt sur des profits faits ici, mais déclarés dans un paradis fiscal.

Depuis le début des années 2010, le Canada est une destination internationale prisée pour le blanchiment d’argent du crime organisé mondial et des oligarques en provenance des anciennes républiques soviétiques. 

Tout cela grâce à la fois à des lois vétustes et des échappatoires fiscales créées de toutes pièces.

Condamner : nos demandes

Malgré la Règle Générale Anti-Évitement (RGAÉ), l’évitement fiscal est rarement pénalisé au Canada. Dans ce contexte, on ne peut s’attendre à dissuader les fraudeurs de recourir à des pratiques d’évitement fiscal abusif. Il faut introduire des pénalités liées à l’évitement fiscal et criminaliser l’évitement fiscal abusif, tant pour les bénéficiaires que pour les facilitateurs de ces stratagèmes (firmes de placements, avocats spécialisés, fiscalistes, agents d’immeubles, etc.)

Nos lois et nos institutions ont pour responsabilité de protéger l’intégrité fiscale du pays. Il faut revoir nos lois, car elles ne permettent pas de bien lutter contre l’évitement fiscal. À l’heure actuelle, si la fraude fiscale est illégale au Canada, l’évitement fiscal pour réduire ses revenus et profits déclarés ne l’est pas. Ici, l’évitement fiscal fait référence à l’utilisation d’un avantage fiscal prévu par la loi qui va à l’encontre de l’esprit de celle-ci et auquel on recourt uniquement pour échapper au fisc. Nous proposons de modifier les lois pertinentes afin de pénaliser l’évitement fiscal et criminaliser l’évitement fiscal abusif.

La lettre de mandat publiée en décembre 2021 et destinée à la ministre des Finances semble reconnaître ce problème en ce qu’elle demande à la fois de « modernis[er] le régime général des règles anti-évitement16 » et d’« appuyer le ministre de la Sécurité publique dans son travail visant à envisager des options pour renforcer les lois et les pouvoirs d’enquête liés aux principaux crimes financiers et à présenter une proposition visant à établir une Agence canadienne des crimes financiers17 ». C’est un pas dans la bonne direction.

L’article 245 de la Loi sur l’impôt sur le revenu qui mentionne que la Règle générale anti-évitement (RGAÉ) ne peut être appliquée que lorsqu’il est démontré qu’il y a un évitement fiscal abusif. De plus, aucune disposition du RGAÉ ne mentionne de pénalité : de son application ne résulte que le remboursement de l’avantage fiscal obtenu.

À ce titre, la RGAÉ doit être amendée afin d’y inclure des pénalités importantes et dissuasives tant pour les contribuables qui utilisent des stratagèmes de fraude ou d’évitement que pour les facilitateurs (cabinets d’avocats, de comptables et de fiscalistes et des banques) qui offrent des services d’évitement fiscal et de stratagèmes fiscaux abusifs.

De plus, nous proposons d’amender la RGAÉ afin qu’un contribuable reconnu coupable d’évitement fiscal abusif selon la RGAÉ s’expose également à une poursuite criminelle pour fraude selon l’article 380 du Code criminel. La notion de fraude du Code criminel devrait également être bonifiée d’un article dans lequel le législateur définit ce qu’est, criminellement parlant, l’évitement fiscal abusif.

Finalement, la RGAÉ doit être périodiquement révisée afin de s’assurer qu’elle capte toutes les opérations et tous les montages d’évitement fiscal abusif. À cet égard, nous attendons de pied ferme le début des consultations sur la révision du RGAÉ, annoncées par le gouvernement fédéral en automne 2020, puis réitérées lors du budget de 2021.

Également, l’article 239 de la Loi sur l’impôt sur le revenu, qui a pour objet les activités passibles de pénalités pour non-respect de la loi, ne mentionne pas l’évitement fiscal. L’article 239 doit prévoir une disposition pour pénaliser toute opération d’évitement fiscal qui n’a pas d’autre objet que l’avantage fiscal réclamé.

De plus, les pénalités prévues à l’article 239 doivent être revues à la hausse afin qu’elles soient réellement dissuasives, autant pour les contribuables que pour les facilitateurs.

En bonifiant cet article, on ajoute ainsi une dissuasion supplémentaire à l’évitement fiscal tout en comblant des situations où la RGAÉ ne pourrait pas s’appliquer.

Les divulgations volontaires ne doivent pas constituer un passe-droit, mais plutôt être accompagnées de pénalités à des taux pouvant atteindre 30 % des montants dus et ne devraient jamais prévoir de taux d’intérêt réduit.

Malgré le fait que l’ARC soit censée lutter contre la fraude et l’évitement fiscal, elle offre, à l’opposé, aux contrevenants les plus fortunés des occasions pour minimiser leur peine et ne pas avoir à subir toutes les pénalités concernant leurs actes. Il est impératif de changer ce régime de justice à deux vitesses qui accorde une impunité aux contribuables les plus fortunés reconnus coupables.

La divulgation volontaire permet en effet aux contribuables qui ont évité l’impôt ou pratiqué la fraude de régulariser leur situation fiscale et de payer l’impôt et les intérêts qu’ils doivent en déclarant eux-mêmes la situation. Ce programme accorde donc une impunité à l’évitement fiscal et permet aux contrevenants de se soustraire à des poursuites quand ils craignent de « se faire pincer ».

L’ARC a récemment restreint l’accès à la divulgation volontaire, ce qui est un pas dans la bonne direction, mais il faut le restreindre encore davantage. Des pénalités importantes allant jusqu’à 30 % des remboursements payés doivent être imposées à ceux qui se prévalent de la divulgation volontaire. Il faudrait également ne permettre aux contribuables qu’une seule occasion à vie de se prévaloir de cette mesure extraordinaire. Finalement, en cas de faute fiscale très grave, la divulgation volontaire devrait tout simplement être interdite.

Les liens que le Canada entretient avec des paradis fiscaux ne sont plus à démontrer. Ces liens ne s’arrêtent pas à nos institutions financières. Nous savons, par exemple, qu’ils gangrènent la classe politique du pays (Stephen Bronfman, Bill Morneau et Paul Martin ne sont que la pointe de l’iceberg) ; tout comme ils fraient leur chemin dans les institutions politiques internationales : le Canada partage son siège au FMI avec des paradis fiscaux des Caraïbes et l’Irlande. Le gouvernement du Canada ne peut pas être pris au sérieux dans sa lutte contre l’évasion et l’évitement fiscal tant et aussi longtemps qu’il ne fera pas de la lutte contre les paradis fiscaux un pilier de sa politique étrangère.

« Le Canada ne fait pas seulement figure de pionnier dans la création des paradis fiscaux caribéens, il est maintenant en passe de devenir l’objet même de ses créatures. Bien que le dossier soit confondant, bien qu’il soit d’une ampleur exceptionnelle, bien qu’il nous saisisse, un silence opaque a longtemps régné autour des faits. S’ils en ont pris la mesure, très peu de députés ou de ministres l’ont évoqué et les différents ministères “compétents” sont restés myopes face au phénomène18. » C’est dans ces termes que le philosophe Alain Deneault ouvre la conclusion de son étude Paradis fiscaux : la filière canadienne nous rappelant que le Canada n’a pas seulement joué un rôle passif devant les paradis fiscaux, mais est, en fait, un des acteurs les plus impliqués et responsables de la situation actuelle.

Il n’est pas seulement temps que le Canada désinvestisse son économie des paradis fiscaux et mette au pas les principales institutions financières et bancaires du pays, mais, également, que le Canada agisse ouvertement comme un acteur de premier plan dans la lutte aux paradis fiscaux sur la scène internationale.

Le Canada n’est pas seulement un pays du G7, il est également l’épicentre des paradis fiscaux caribéens. Il a, à ce titre, beaucoup plus de pouvoir qu’il ne le laisse croire sur sa capacité à agir de manière effective sur les enjeux liés aux paradis fiscaux à l’international. Il est temps que cesse cette mascarade, que le Canada assume le rôle historique qu’il a joué et prenne dès maintenant ses responsabilités.

  1. Cabinet du Premier Ministre du Canada, « Lettre de mandat de la vice-première ministre et ministre des Finances », 16 décembre 2021.
  2. Ibid.
  3. Alain Deneault. Paradis fiscaux : la filière canadienne, Montréal, Écosociété, 2014, p.241.