Fin de la Taxe sur les services numériques : un recul majeur pour la justice fiscale

4 juillet 2025
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Il aura fallu moins d’une fin de semaine pour que le Canada cède à la pression américaine et abandonne la taxe sur les services numériques (TSN). Cette volte-face survient quelques jours à peine après que le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, a affirmé que le Canada ne reculerait pas sur cette question durant les négociations.

Le collectif Échec aux paradis fiscaux, qui regroupe les principales organisations syndicales, communautaires et étudiantes du Québec, condamne fermement le retrait de la TSN, qu’il considère comme un recul majeur pour la justice fiscale.

Non seulement le gouvernement canadien a-t-il reculé, mais il a en plus établi un dangereux précédent en acceptant de sacrifier la souveraineté fiscale du pays pour satisfaire aux exigences de l’administration Trump.

Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, la TSN est ciblée par des attaques répétées de l’administration américaine, qui la juge « discriminatoire » envers ses multinationales du numérique. Si cette mesure apparaît donc comme une concession aisée à faire dans le cadre du bras de fer entre les deux pays, le revirement de veste du gouvernement Carney n’a en vérité de sens ni du point de vue de la justice fiscale, ni de celui des relations commerciales.

Un recul pour la justice fiscale

Adoptée sous le gouvernement Trudeau, la TSN, bien qu’imparfaite, représentait un symbole fort : celui de la volonté d’imposer les multinationales là où elles génèrent leurs revenus. Inspirée par des initiatives similaires de la France, du Royaume-Uni, de l’Espagne et de l’Australie, la TSN prévoyait un prélèvement de 3 % sur les revenus canadiens des grandes plateformes numériques comme Alphabet, Amazon, Meta ou Apple.

Ces entreprises, qui réalisent d’immenses profits dans nos marchés tout en contournant l’impôt grâce à des montages internationaux, sont parmi les plus grands responsables de l’érosion des assiettes fiscales nationales. En l’absence d’un accord multilatéral plus contraignant, une telle taxe fait partie des rares leviers à la disposition des États pour contraindre ces entreprises à contribuer aux finances publiques là où leurs revenus sont produits. Au Canada, on estime que la TSN aurait pu générer 7,2 milliards en recettes fiscales sur cinq ans.

« En l’absence d’un accord multilatéral plus contraignant, une telle taxe fait partie des rares leviers à la disposition des États pour contraindre ces entreprises à contribuer aux finances publiques là où leurs revenus sont produits. »

La complainte de l’administration Trump, qui déplore la menace que fait peser la TSN sur les intérêts américains, est particulièrement cynique. L’accroissement du pouvoir économique et politique déjà démesuré des multinationales ne promeut les intérêts de personne, sinon ceux d’une classe d’oligarques et de facilitateurs. En reculant au premier achoppement des discussions, les négociateurs canadiens se sont montrés prêts à brader certains des intérêts les plus fondamentaux du pays, soit le principe d’une redistribution plus équitable des richesses et la souveraineté des lois canadiennes, au prix le plus bas.

Une concession inutile et injustifiée

La décision est d’autant plus difficile à expliquer que le Canada est, sur cette question, l’un des seuls pays à rompre les rangs. Même aux États-Unis, de nombreux observateurs soulignent que les mesures de représailles contre les pays ayant adopté une TSN — notamment la « Revenge Tax » introduite dans la One Big Beautiful Bill Act — risquent surtout de nuire aux investissements étrangers dans l’économie américaine, dont Trump vise une augmentation à court terme.

L’incohérence de la réponse américaine semble donc donner raison à ceux qui voyaient au contraire dans les mesures d’imposition des multinationales un rempart efficace contre le travail de sape mené par les entreprises américaines à l’encontre des régimes fiscaux des autres pays. Il y a fort à parier que les États qui détiennent des armes de négociation comme la TSN opposeront une résistance plus forte au chantage américain.

En renonçant à la TSN pour accélérer la conclusion d’une entente commerciale avant l’échéance du 21 juillet fixée lors du dernier G7, le gouvernement Carney sacrifie des objectifs à long terme pour des gains politiques à courte vue. Il est encore temps pour Ottawa de prendre fermement position en faveur de la souveraineté fiscale et de défendre la TSN canadienne dans le cadre des négociations, mais il faudra faire vite.

Une bataille plus large est en cours

Que ce recul soit considéré comme une concession de bonne foi ou bien comme une habile tactique de négociation, il révèle au grand jour l’étroitesse des priorités du gouvernement Carney. En sacrifiant un outil de justice fiscale sur l’autel d’une entente commerciale incertaine, il abdique devant les lobbys des grandes entreprises et foule aux pieds l’intérêt public.

La décision du gouvernement s’inscrit dans un contexte de reconfiguration des règles fiscales internationales. L’échec relatif du Cadre inclusif OCDE/G20 sur la justice fiscale et les hésitations du Canada à appuyer les réformes portées par le Groupe africain à l’ONU montrent que l’heure est au repositionnement. Plutôt que de tourner le dos à la TSN, Ottawa aurait dû la défendre comme mesure transitoire, en attendant des accords multilatéraux plus ambitieux, comme l’imposition unitaire des sociétés multinationales et la mise en place d’une déclaration pays-par-pays, des pistes désormais défendues par plusieurs pays du Sud global.

Nous appelons le gouvernement Carney à revenir sur sa décision, à rétablir la taxe sur les services numériques et à prendre fermement position pour la justice fiscale dans le cadre des négociations internationales en cours.