Les avancées du Québec et du Canada
Que fait le Québec ?
Pendant longtemps, le Québec n’a pas agi contre les paradis fiscaux. Il s’est limité à lutter contre la fraude, surtout dans le milieu de la construction et de la restauration.
Il aura fallu attendre les travaux de la Commission des finances publiques de 2017 sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux. Presqu’une décennie plus tard, le rapport déposé par la Commission à l’issue de ses consultations influence toujours, en raison du caractère audacieux de ses recommandations, l’orientation de la lutte contre les paradis fiscaux au Québec.
En réponse à la commission, le gouvernement Couillard a déposé en novembre 2017 son Plan d’action contre les paradis fiscaux, reconnaissant au passage pour la première fois l’existence du problème.
Ce plan d’action, marquant à bien des égards un recul par rapport aux recommandations de la Commission, a néanmoins entamé des réformes dans trois secteurs clés :
Augmenter la transparence et l’accessibilité publique du Registre des entreprises du Québec : avancée décisive
En juin 2021, le gouvernement du Québec a adopté le projet de loi 78, prévoyant la mise en œuvre d’un registre québécois des bénéficiaires ultimes publiquement accessible. Bien qu’imparfait, ce registre marque une avancée considérable en matière de transparence fiscale, puisqu’il réduit la possibilité pour les individus fortunés de se cacher derrière des structures corporatives opaques. Le collectif EPF a contribué aux consultations sur le PL78 en février 2021.
Embaucher davantage de fiscalistes à Revenu Québec pour lutter contre les paradis fiscaux et l’évitement fiscal : progrès timides
En 2017, le gouvernement du Québec a annoncé en grande pompe le projet d’embauche de près de 75 agent.e.s affecté.e.s à la surveillance des planifications fiscales internationales. Depuis, l’absence de nouveaux projets d’embauche nous fait douter de la capacité de Revenu Québec de faire face aux mutations supplémentaires qu’a subies la fiscalité internationale au courant des dernières années.
Instaurer une meilleure collaboration entre Revenu Québec et l’Agence du revenu du Canada : progrès timides
En matière de fiscalité internationale, Revenu Québec demeure largement dépendant de l’Agence du Revenu du Canada. L’agence québécoise reçoit certes plus de renseignements qu’en 2017, mais ceux-ci ne suffisent pas à effectuer les vérifications qu’une lutte sérieuse contre les paradis fiscaux exige.
Augmenter la transparence et l’accessibilité publique du Registre des entreprises du Québec : avancée décisive
Embaucher davantage de fiscalistes à Revenu Québec pour lutter contre les paradis fiscaux et l’évitement fiscal : progrès timides
Instaurer une meilleure collaboration entre Revenu Québec et l’Agence du revenu du Canada : progrès timides
Un score de 1/3, donc, qui ne témoigne pas d’une franche réussite, mais dont les gouvernements successifs semblent s’accommoder.
Jugeant que le Plan d’action de 2017 a été mené à bien, le gouvernement du Québec semble désormais vouloir concentrer son action sur des volets de la politique fiscale québécoise (par exemple : le recouvrement de dettes fiscales, la mise en conformité volontaire des contribuables) qui, bien qu’importants, n’ont pas de rôle politiquement structurant.
Nombre d’experts jugent que le Québec dispose non seulement des institutions, mais également du pouvoir nécessaire pour poursuivre dans le sens de la perspective dégagée par le rapport de 2017 de la Commission des finances publiques – voire au-delà. Le gouvernement provincial a déjà commis l’erreur de négliger l’importance du problème des paradis fiscaux ; il faut veiller à ce que l’on ne l’y reprenne plus.
Que fait le Canada ?
C’est le gouvernement fédéral qui jouit, sur les questions fiscales, des compétences les plus vastes, en raison notamment des pouvoirs que lui confère la Constitution en matière de politique étrangère et de finances publiques.
À l’instar du gouvernement du Québec, le fédéral a pourtant tardé à intervenir dans la lutte contre les paradis fiscaux.
Dans son cas, cette inaction est d’autant plus infamante que le Canada a joué un rôle déterminant dans le développement des législations de complaisance caribéennes au 20e siècle. La pression populaire du début des années 2000, couplée à une initiative internationale revigorée, a néanmoins poussé les pouvoirs publics à entamer une révision des insuffisances flagrantes du système fiscal canadien.
Les mesures mises en œuvre au courant des dernières années couvrent quatre aires d’action de la lutte pour la justice fiscale.
Un rehaussement des moyens de l’Agence du revenu du Canada (ARC)
L’ARC, comme plusieurs autres agences fédérales, a été lourdement affectée par les compressions d’austérité des années Harper. Les importants investissements publics récents – près de 1,2 milliard de dollars entre 2016 et 2022 – ont ainsi essentiellement servi à combler le retard accumulé au cours des années précédentes. Bien que l’ARC soit toujours en besoin de financement (notamment au chapitre du contrôle des opérations fiscales des grandes sociétés), ces investissements ont prouvé leur utilité en permettant notamment à l’ARC d’entamer l’évaluation de l’écart fiscal fédéral global, une mesure de l’impact du recours à l’évitement fiscal sur les finances publiques.
Transparence fiscale : un RBE pour le Canada
L’ARC, comme plusieurs autres agences fédérales, a été lourdement affectée par les compressions d’austérité des années Harper. Les importants investissements publics récents – près de 1,2 milliard de dollars entre 2016 et 2022 – ont ainsi essentiellement servi à combler le retard accumulé au cours des années précédentes. Bien que l’ARC soit toujours en besoin de financement (notamment au chapitre du contrôle des opérations fiscales des grandes sociétés), ces investissements ont prouvé leur utilité en permettant notamment à l’ARC d’entamer l’évaluation de l’écart fiscal fédéral global, une mesure de l’impact du recours à l’évitement fiscal sur les finances publiques.
Règle générale anti-évitement : serrer la vis aux contrevenants
La règle générale anti-évitement (RGAÉ) est une disposition de dernier recours, intégrée à la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet aux autorités de refuser à un contribuable un avantage fiscal lorsque celui-ci viole l’esprit de la loi. En août 2022, le gouvernement fédéral a entrepris un processus de révision de la RGAÉ, qui prévoit un resserrement de certaines normes d’application de la disposition ainsi que l’introduction d’une pénalité équivalente à 25 % de l’avantage fiscal perçu. Le collectif Échec aux paradis fiscaux a contribué à deux reprises au processus de consultations sur cette modification législative.
BEPS 1.0 et 2.0 : contribuer à la coopération fiscale internationale
Le Canada est un soutien de longue date du projet de BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting » ; en français, « Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices »), l’initiative de lutte contre le transfert de bénéfices de l’OCDE. Dans le cadre du BEPS 1.0 (2013-2015), le Canada a participé à l’effort international de standardisation des normes de déclaration fiscale, en intégrant notamment le système de déclaration pays par pays. À partir de 2021, le Canada a contribué également aux négociations entourant le BEPS 2.0 (dit « Solution reposant sur deux piliers »). En avril 2024, le gouvernement a déposé un projet de loi prévoyant l’entrée en vigueur de l’impôt minimum mondial (pilier 2), mesure centrale du BEPS 2.0, qui assujettira les grandes multinationales à un taux d’imposition effectif minimal de 15 % sur leurs profits, peu importe où elles exercent leurs activités.
Un rehaussement des moyens de l’Agence du revenu du Canada (ARC)
Transparence fiscale : un RBE pour le Canada
Règle générale anti-évitement : serrer la vis aux contrevenants
BEPS 1.0 et 2.0 : contribuer à la coopération fiscale internationale
Ce qui apparaît comme un grand volontarisme du gouvernement canadien en matière de lutte contre l’évitement fiscal ne doit pas nous leurrer. Pour l’instant, le Canada ne met en œuvre que des mesures de lutte partielles et insuffisantes, qui font l’impasse sur les véritables solutions à long terme promues par des organismes comme le collectif ÉPF. En témoigne par exemple le soutien canadien à l’OCDE, qui masque une hostilité farouche aux démarches entamées à l’ONU pour doter la communauté internationale d’une architecture fiscale plus juste et inclusive.
Le collectif Échec aux paradis fiscaux l’affirme depuis longtemps : les palliatifs ne suffisent pas. Une action dynamique et audacieuse est requise pour revoir complètement les pratiques au Canada et bloquer le recours aux paradis fiscaux. Le gouvernement canadien peut ainsi agir dès maintenant afin de réviser les conventions bilatérales scandaleuses passées avec de nombreux paradis fiscaux, l’une des principales sources d’évitement fiscal à grande échelle. Seul fait défaut le courage politique de remettre en cause un statu quo marqué par des années de complaisance à l’égard des magouilles d’une poignée de contribuables très fortunés.