Paradis fiscaux : deux pistes pour dépasser l’évidence électorale (Élections fédérales 2025)

1 avril 2025
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La dernière page de l’ère Trudeau se tourne à peine que, déjà, les dés électoraux semblent jetés. En dépit des divergences entre les partis, les principaux candidats semblent s’entendre sur une chose : l’heure est aux baisses d’impôt. Les prochaines semaines de campagne électorale annoncent une surenchère de mesures d’« allégement » qui, au nom de la vigueur économique nationale, continueront d’affaiblir un filet social déjà vacillant.

La question de la répartition juste des responsabilités fiscales est bien sûr cruciale, mais elle ne peut se résumer à la réduction des sources de revenu public. Le changement de ton à Washington, où trumpiens et GAFAM parlent d’une même voix, appelle un nouvel élan de solidarité sociale, que le gouvernement fédéral doit soutenir pleinement. Cette solidarité passe avant tout par la défense de nos services publics et la lutte contre le recours aux paradis fiscaux, qui chaque année prive l’État de revenus essentiels à la santé des finances publiques.

Le silence des candidats sur cette question fait douter de leur résolution à prendre le problème de l’évitement fiscal des multinationales et des riches particuliers au sérieux. Dans le cadre de cette campagne électorale, le collectif Échec aux paradis fiscaux propose ici aux aspirants premiers ministres deux pistes concrètes d’action afin de parer notre modèle social à la tempête qui vient.

Combattre l’opacité canadienne

L’opacité considérable du système canadien nous empêche d’avoir une idée claire de la somme d’impôts effectivement payée par les multinationales faisant affaire au pays. Les compagnies opérant sur le sol canadien sont en effet soumises à des exigences de déclaration particulièrement faibles, qui classent le Canada parmi les cinq principaux pays responsables des abus transfrontaliers identifiés par le Tax Justice Network[1] .

Pourtant, depuis 2016, le gouvernement fédéral dispose d’une source d’information importante sur les activités des multinationales connue sous le nom de « déclaration pays par pays ». Dans ces déclarations, les sociétés multinationales répertorient les activités économiques qu’elles mènent dans l’ensemble des pays où elles opèrent. Le problème n’en est donc pas un de disponibilité des données, mais bien d’accès à celles-ci : le gouvernement refuse de les rendre disponibles au grand public, invoquant des questions de protection des données privées.

« Le problème n’en est donc pas un de disponibilité des données, mais bien d’accès à celle-ci […] »

En garantissant un accès public et gratuit aux données des déclarations pays par pays, le Canada permettrait aux journalistes et aux organisations de la société civile de jouer plus efficacement leur rôle de chien de garde de la démocratie. Alors que le pouvoir économique des multinationales confère à celles-ci une influence politique grandissante, la préservation de ces foyers de contre-pouvoir est essentielle. Cette mesure, déjà mise en œuvre depuis l’automne dernier par l’Australie, contribuerait à un assainissement considérable du système fiscal canadien.

Imposer justement les profits des multinationales

En dépit de l’opacité, il y a de bonnes raisons de croire que les sommes d’impôt payées effectivement par les multinationales sont minimes. Les rares estimations, forcément partielles, évoquent des taux moyens d’imposition allant « au mieux » jusqu’à 9,6 %[2], bien en deçà du taux statutaire fédéral-provincial moyen établi à 26,6 %.

Pour lutter contre cette tendance à la moins-disance fiscale, le gouvernement canadien place depuis 2019 ses espoirs dans la loi dite de l’« impôt minimum mondial ». Cette mesure phare de la réforme de la fiscalité internationale de l’OCDE, entrée en vigueur au Canada en juin 2024, promet de mettre fin à la concurrence fiscale entre les États en instaurant un seuil d’imposition minimale de 15 % pour toutes les multinationales réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de 750 millions d’euros.

À bien y regarder, cette promesse semble plutôt relever de l’illusion. L’impôt minimum mondial ne dispose pas des armes législatives pour mener son projet à bien. Non seulement prévoit-il des provisions exemptant certains types de revenu de l’assujettissement au taux minimum, mais il contribue également à normaliser la pratique d’un taux d’imposition artificiellement bas. Pourquoi en effet payer le taux prévu par la loi fiscale lorsque le taux minimum est fixé à seulement 15 % ?

Un sérieux coup de barre est nécessaire pour éviter d’accentuer la tendance en vigueur, conséquence de la stratégie actuelle du gouvernement canadien. Depuis des années, le collectif Échec aux paradis fiscaux réclame une cible du taux effectif d’imposition des multinationales fixé à 25 %, ce qui rapprocherait le Canada de la moyenne des États de l’OCDE. L’évitement fiscal des grandes sociétés s’élève annuellement à 12,7 milliards de dollars, soit plus de 3 % des dépenses canadiennes totales en santé.

Un engagement ferme du Canada en faveur d’un taux effectif à 25 % représenterait un premier pas en vue de la pérennisation des assises fiscales de notre modèle social[3]. En ces temps tumultueux, nous appelons les candidats à faire preuve de courage et à exiger que les multinationales paient leur juste part au Trésor public.


[1] Tax Justice Network, “Justice fiscale : État des lieux 2024”, 2024, p. 34. En ligne : https://taxjustice.net/wp-content/uploads/2024/11/State-of-Tax-Justice-2024-French-Tax-Justice-Network.pdf ..

[2] Anis Maaloul, “L’adoption de la déclaration pays par pays (DPP) du projet BEPS a-t-elle affecté l’évitement fiscal des multinationales ? Cas des multinationales canadiennes”, 2023, Cahier de recherche 2023-03, Université de Sherbrooke, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, p. 17-19.

[3] Consulter la section “Encaisser” de la campagne “Démasquer, Condamner, Encaisser” du collectif Échec aux paradis fiscaux à l’adresse suivante : https://echecparadisfiscaux.ca/campagne/encaisser/ .